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12 septembre 2011

Des nouvelles de Centraco (Marcoule, Gard)

J'ai finalement bondi dans ma voiture pour me rendre sur place, histoire de me rendre compte par moi-même de la situation. En tant que photojournaliste mais surtout en tant qu'humaine qui habite à moins de 20 km d'un site nucléaire (pour le plus proche car au-dessus en remontant la vallée du Rhône, il y a aussi Cruas-Meysse et Tricastin). De surcroît, on est en aval des vents dominants (premiers servis !) donc raison de plus d'aller m'informer.

 
Sur place, plein de journalistes déjà, beaucoup de radios, et des directs de BFM TV. On peut aller jusqu'au portail de l'usine CENTRACO, il y a très peu de gendarmes. C'est seulement l'entrée du site même qui est filtrée.


Les salariés sont rassemblés devant un grand bâtiment vitré. Au moment où j'arrive un hélicoptère du SAMU s'envole. On apprendra par la suite qu'il s'agit de l'évacuation d'un des quatre employés blessés, transporté à l'hôpital de Montpellier pour de très importantes brûlures.


Peu de temps après, un dirigeant de l'entreprise SOCODEI, exploitant de l'usine CENTRACO, vient faire une déclaration à la presse. Je l'ai enregistrée en intégralité, en voici la retranscription fidèle :

- Interview de Roland Vierne, membre de l'équipe de direction en charge des projets et de l'innovation, représentant le directeur général de SOCODEI qui n'était pas présent sur le site -

"A midi, une déflagration s'est produite dans local du four de fusion de métaux de l'usine CENTRACO. Il s'agit d'un incident d'exploitation du four, un mort est à déplorer. Il n'y a pas de rejet et nous n'en n'aurons pas. L'incident est sans conséquence à l'extérieur du site. L'ensemble du personnel est très choqué. Il y a 4 blessés dont 3 évacués vers l'hôpital de Bagnols-su-Cèze (blessés très légers) et une personne évacuée en hélicoptère vers le CHU de Montpellier. Il souffre de très importantes brûlures. L'incident est clos, les bâtiments sont intègres, l'ensemble de l'installation a été arrêté. Aucune anomalie n'est à déplorer en dehors du local, l’analyse reste à faire. L'incident a été circonscrit au local dans lequel se trouve le four, sans aucune conséquence ni autour du local, ni à l'extérieure des installations. Je tiens à rassurer les populations, il n'y a absolument aucune conséquence liée à des rejets qui soient radiologiques ou chimiques.
L'usine CENTRACO comporte un four de fusion des métaux destiné à recycler des déchets métalliques très faiblement radioactifs. Il y a un deuxième four dans l'installation qui brûle les déchets incinérables tels papiers, cartons, plastiques issus de l'exploitation nucléaire. Le four était en fonctionnement à midi au moment de l'accident. L'ensemble de l'installation a été arrêté. Le four n'a pas explosé, il y a eu une déflagration dans le local du premier four. Nous ne connaissons pas l'origine de la déflagration l'enquête est en cours, l'analyse des causes sera effectuée après. L'usine de CENTRACO a été mise en exploitation en 1999. Elle a traité depuis plusieurs dizaines de milliers de tonnes et n'a jamais eu d'accident de cet ordre là. C'est le premier accident sur l'usine de Centraco. On n'a eu aucun accident préalable à cet accident là. Nous avons déclaré immédiatement la situation aux autorités de sureté qui se sont déplacées ainsi qu'à la Préfecture et aux autorités compétentes. Nous avons déclaré l'accident aujourd'hui qui n'a absolument aucune conséquence en matière de rejets dans l'environnement en dehors du local dans lequel s'est déclaré l'accident. A ce titre-là l'accident est classé au niveau 1 car il s'agit malgré tout d'un accident d'exploitation avec des conséquence sur le matériel. Il s'agit d'un accident d'exploitation dans ce type d'industrie."

Puis les salariés sont "relâchés", c'est un défilé de véhicules qui franchit le portail devant les caméras. Aucun d'entre eux n'a souhaité témoigner.


Nathalie Kosciusco-Morizet, ministre de l'écologie, était attendue sur le site de CENTRACO en fin d'après-midi, mais je suis partie avant car j'en savais assez, et surtout j'ai estimé que je n'en saurais pas plus en écoutant une déclaration de ministre !

Une métaphore de l'opacité du système...

Voici pour les faits. Maintenant voici quelques informations supplémentaires que je vous livre après avoir creusé le sujet.

Tout d'abord pour ce qui est de la déclaration de monsieur Vierne concernant la virginité de CENTRACO au niveau des accidents/incidents (dans l'industrie la nuance entre les deux n'est jamais très claire) :
"Elle a traité depuis plusieurs dizaines de milliers de tonnes et n'a jamais eu d'accident de cet ordre là. C'est le premier accident sur l'usine de Centraco. On n'a eu aucun accident préalable à cet accident là."
Je vous invite à surfer sur le site de de la très officielle ASN (Autorité de Sureté Nucléaire), sur lequel on peut lire ceci (mis à jour le 12 septembre 2011, tiens tiens...)
APPRÉCIATION 2010
Devant le constat de lacunes dans la culture de sûreté au sein de l’installation CENTRACO, le directeur général de l’ASN a demandé à l’exploitant de définir et de mettre en œuvre des actions visant à améliorer la sûreté de l’exploitation. Les actions de contrôle menées en 2010 par l’ASN montrent que les mesures correctives mises en place par l’exploitant commencent à produire des effets sur le terrain. Si les nouvelles dispositions mises en œuvre indiquent une réelle implication de l’exploitant pour remédier aux difficultés rencontrées, l’ASN veille toutefois à ce que la stratégie mise en œuvre permette d’inscrire ces progrès dans la durée.
Source : rapport annuel 2010
A voir ici :

On y trouve aussi la liste de avis d'incidents depuis le début de l'exploitation de l'usine :

Ensuite j'ai bien aimé la distinction entre accident industriel et accident nucléaire :
"Il s'agit d'un accident d'exploitation dans ce type d'industrie"
CENTRACO est ce que l'on appelle une Installation Nucléaire de Base (INB), ce n'est donc pas une "industrie comme une autre". L'usine est située sur le site nucléaire de Marcoule, qui accueille entre autres l'usine MELOX qui fabrique le fameux combustible MOX au plutonium (dont on a beaucoup parlé lorsque Fukushima avait droit à la une des actualités) et le réacteur Phénix arrêté depuis le 12 septembre 2009 mais qui est toujours en activité jusqu'en 2012 pour des activités de recherches. Rien que de l'industrie classique, vous ne trouvez pas ?

Quelle hypocrisie, ce serait comique si ce n'était pas aussi grave...

Enfin je trouve qu'humainement aussi, il a fait très fort dans sa déclaration :
"A ce titre-là l'accident est classé au niveau 1 car il s'agit malgré tout d'un accident d'exploitation avec des conséquence sur le matériel"
Un mort c'est du matériel ? Une illustration de plus de l'inhumanité du système, heureusement bien mal en point.

Voici l'adresse pour suivre les balises de la CRIIRAD :
Les mesures des balises ne sont que des résultats partiels d'une éventuelle contamination, car pour aller plus loin, la CRIIRAD analyse en laboratoire les filtres et les cartouches et cela n'est pas instantané.

Quoiqu'il en soit, qu'il y ait contamination ou pas ici lors de cet accident, il faut voir plus large, plus loin. Le nucléaire est un monstre engendré par ce système, qui a toujours été incontrôlable mais qui jusque là il arrivait à faire bonne figure en se cachant derrière des façades de pseudo maîtrise. Mais les temps qui arrivent sont en train de faire tomber les masques...