2008-2025 © Stéfanie Claverie - All rights reserved - Tous droits réservés

21 mars 2011

Japon : chronique d'une contamination annoncée (suite)

Nucléaire, non merci !

Comme je l'annonçais dans mon message précédent, cela fait plus d'une semaine que la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHI rejette des produits radioactifs dans l'atmosphère.

Les premières analyses officielles effectuées sur des aliments portent sur les épinards et le lait, prélevés dans une zone située dans la préfecture d'IBARAKI à 80 /120 km au sud de la centrale (en direction de Tokyo, donc) et dépassent largement les "normes" autorisées.

Comme pour le nuage de Tchernobyl qui s'est arrêté à certaines frontières et pas à d'autres, ce genre d'information matraquée tendrait à nous faire croire que seuls ces malchanceux épinards et ce lait sont touchés...

Bien entendu c'est faux !

De nombreux végétaux ont intercepté les retombées radioactives. La neige puis la pluie dans la région ont provoqué des dépôts au sol, en lessivant les masses d'air contaminé et précipitant au sol les particules radioactives et les gaz solubles comme l'iode.

Les végétaux à larges feuilles comme les épinards (donc qui présentent une plus grande surface de captage) font partie des aliments à risque : blettes, salades, poireaux, etc. Ils ont commencé à être contaminés dès le samedi 12 mars pour ce qui concerne les zones proches de la centrale.

Les aliments contaminés de façon indirecte, comme le lait, le fromage et la viande l'ont été avec quelques jours de décalage : le bétail broute de l'herbe contaminée et les radionucléides présents sont métabolisés et fixés dans les organes : les isotopes radioactifs de l'iode (131, 132) se retrouvent préférentiellement dans la thyroïde des animaux mais aussi dans le lait; le césium est présent dans le lait mais aussi dans les muscles (donc la viande).

Les résultats

Dans les épinards (7 échantillons) :
L'activité de l'iode 131 varie de 6100 Bq/Kg à 15 020 Bq/Kg, soit 3 fois à près de 8 fois la limite de 2000 Bq/Kg en vigueur au Japon (il s'agit très probablement de limites provisoires s'appliquant en cas d'accident nucléaire ou d'urgence radiologique).
L'activité des césiums 134 et 137 varie de 140 à 524 Bq/Kg (limite fixée à 500 Bq/Kg).

Les épinards ne sont pas le seul légume touché : des résultats effectués sur des oignons verts confirment cette contamination (dans une moindre mesure : jusqu'à 686 Bq/Kg pour l'iode 131)

Dans le lait (3 échantillons) :
L'activité de l'iode 131 varie de 932 à 1510 Bq/Kg, soit des valeurs 3 à 5 fois supérieures à la limite de 300 Bq/Kg.

Les niveaux de contamination conduisent au dépassement de la limite de 1 mSv/an

Les activités mesurées dans le lait et les épinards sont suffisamment élevées pour que l'ingestion de quantités limitées de produits conduisent au dépassement de la limite de dose maximum admissible  pour la population qui est de 1 mSv/an.
En se basant sur les coefficients de dose efficace reconnus au niveau international, la CRIIRAD a calculé l'activité d'iode 131 (en Bq) qui, si elle est ingérée, délivre à l'organisme la dose maximum admissible de 1 mSv/an.

Les résultats sont impressionnants : si une famille de la région d'IBARAKI consomme des épinards à 15 000 Bq/Kg, il suffira qu'un jeune garçon en ingère 370 g, un enfant de 10 ans un peu plus d'un kg et un adulte 3 kg, pour atteindre en quelques repas, en quelques jours, la limite annuelle.

En réalité, la limite sera atteinte beaucoup plus vite étant donné qu'il faut comptabiliser les apports en iode radioactive des autres aliments (et oui, les japonais ne mangent pas que des épinards...).

Il faut aussi tenir compte de la contribution de tous les autres radionucléides présents (en particulier les plus significatifs sur le plan sanitaire) : césium 137, césium 134, iode 132. L'ingestion de ces radionucléides conduit, elle aussi, à une irradiation interne qui augmente la dose absorbée. Il faut également déterminer si les rejets radioactifs contiennent du tritium ou du strontium 90, radionucléides qui nécessitent des dosages spécifiques. il faudrait également savoir si les transuraniens (plutonium notamment) sont présents dans les retombées, en quelle quantité et jusqu'à quelle distance.

Je précise aussi la donnée suivante (que je développerai dans un prochain message) : le réacteur N°3 de FUKUSHIMA DAIICHI fonctionne avec le fameux combustible recyclé MOX, produit dans le Gard (cocorico !) par l'usine MELOX d'AREVA, qui contient du plutonium, hautement toxique... et ce matin, justement, un "panache de fumée" a été signalé s'échappant du réacteur N°3 de la centrale...

S'ajoute à l'ingestion de produits contaminés le fait que les personnes ont inhalé et continuent à inhaler de l'iode 131 et tout le "cocktail" de produits radioactifs présents dans les rejets de la centrale.

Un effet cumulatif

Toutes ces doses reçues par différents vecteurs s'additionnent dans l'organisme. Pour évaluer le risque sanitaire, il faut donc tenir compte de ce cumul,.
A l'exposition externe qui est due à l'irradiation à partir des panaches radioactifs et des produits radioactifs qui sont déposés au sol va s'ajouter l'exposition interne par l'inhalation de gaz et d'aérosols radioactifs et l'ingestion d'aliments contaminés.

Pour l'inhalation comme pour l'ingestion, il faut tenir compte de tous les radioéléments présents (et pour cela encore faut-il les connaître...).

Il faut aussi considérer l'exposition dans le temps : ajouter les doses reçues depuis plus d'une semaine (dont malheureusement on ne sait pratiquement rien) et anticiper les doses à venir (car la radioactivité ne disparaît pas en quelques jours et ce d'autant plus que les rejets continuent).

Respecter les normes ne suffit pas

Les mesures visant à retirer de la consommation les épinards et le lait qui ont fait l'objet d'analyses ne sont pas suffisantes pour assurer la protection des personnes. Les normes de contamination des aliments en situation accidentelle sont trop élevées. Il faut orienter la consommation des habitants vers des aliments non ou peu contaminés. Il faut leur donner des informations fiables sur les précautions à prendre comme rappeler par exemple qu'il ne suffit pas de laver une salade pour  la débarrasser des radionucléides qui s'y sont déposés car ils sont rapidement métabolisés par la plante, rendant le lavage inefficace.

Comparaison n'est pas raison !

En situation d'accident nucléaire ou de pollution radioactive, la communication officielle recourt généralement aux comparaisons avec les doses susceptibles d'être reçues du fait de la radioactivité naturelle ou de l'irradiation médicale. Cette démarche mise sur le fait que le public méconnait le plus souvent les risques qui leur sont associés.

Sans rentrer ici dans de longs développements, rappelons seulement :

- que le radon, gaz radioactif naturel, et la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac (et la première cause de cancer du poumon chez les non-fumeurs). Le risque est avéré pour des concentrations inférieures à 200 Bq/m3 (soit une dose pour une personne, corps entier, de quelques mSv/an).
- qu'un scanner médical délivre au patient une dose de plusieurs mSv (variable selon le type d'examen) et que la réglementation impose que ces examens soient strictement justifiés et que les doses soient réduites au maximum. Le surcroît de risque doit être justifié par le bénéfice que le patient en retire (je vous laisse juger de cette affirmation à la lumière de vos propres expériences en la matière...). Une dépêche AFP du 16 décembre 2009 donne les résultats de deux études récentes sur le sujet (à lire dans le communiqué de presse de la CRIIRAD dont le lien figure ci-dessous).

Pour des informations plus détaillées, voir :